lundi 21 novembre 2022

LA CHANSON DES RUES

FLORIN NICULESCU



J’avais mes pataugas, alors inutile de vous dire que vagabonder d’une rue à l’autre, d’un pays à l’autre, ça ne m’impressionnait pas. D’ailleurs, ça ne dérangeait personne dans la salle et puisque la pluie et le vent s’étaient invités sur Conilhac pour cette quatrième soirée Jazz, autant nous en échapper.

On peut dire ce qu’on veut, la musique a le pouvoir de changer bien des choses, au premier rang desquelles, celle d’apporter la sérénité. Ce soir partons en voyage avec Thierry GONZALEZ Trio, détente et apaisement assurés.


Oh ! Un trio annoncé par notre « speaker » et seuls, deux artistes se présentent ?  Plait-il ? Allons, détendons-nous, voilà le retardataire, crinière frisée, tout sourire qui prend place derrière sa jolie contrebasse, sous le regard hilare de Thierry GONZALEZ. Voilà, l’ambiance est posée, rien n’est grave, tout est plaisir.Et ils vont nous en faire parcourir des kilomètres ces trois là. Thierry GONZALEZ s’est mis au piano, Malo EVRARD à la batterie et Emmanuel FORSTER - qui n’est pas que flâneur vous verrez - nous embarquent immédiatement pour l’Afrique, avec African thème 

La chaleur est de suite venue. On découvre les compositions de Thierry avec des « échappées belles » qui succèdent à une rythmique élégante sur quelques notes, c’est doux, c’est juste, c’est mélodieux et ça reste en tête ; autant dire que nous étions sur le continent africain.

Alors, au moment d’entamer Pablo to blues, il avertit « c’est un blues, disons…tordu ». Bien sûr qu’il est tordu, mais la communication s’établit entre la contrebasse d’Emmanuel qui semble faire corps avec lui et qui restitue un spleen qui se pare de mille vertus pour nous émouvoir. Et maintenant, où va t-on ? À la maison ? 

La cause est due à l’inéluctable confinement, un isolement qui participait du mal être ressenti par de nombreux artistes.







Comme beaucoup de ceux-ci1, privés de leur public, certains entraient en création. Thierry – lui – choisissait la partition bien évidemment et  nous propose ce soir, une composition intitulée - par pur amusement intellectuel - « April at home ». Vous trouvez que ça manque d’originalité ?  Mais c’est exactement l’ambiance du moment qu’il restitue et il est ravi – ils sont ravis – de « parler » d’un temps que nous souhaitons tous, révolu. Les interactions passionnées des instruments égayent chacun des jours de ce mois d’avril si chagrin. Il n’y a rien de plus normal, puisque la nature reprend ses droits et amène son lot de petits bonheurs, souvent partagés.

Il faut déjà conclure cette balade et quoi de mieux que ce morceau composé par Emmanuel FORSTER « Ballade pour Dorothée ». Ils sont doués nos artistes pour nous faire oublier l’automne finissant. On a devant nous trois garçons heureux, on retrouve dans leurs yeux la chaleur de regards presque affectueux pour une équipe qui a su prendre soin d’eux jusque dans les moindres détails ce soir, mais pas que… 

Car avant de partir, en terre d’Aude comme dans l’Hérault le langage est le même : Un rappel est un rappel et nous aurons droit à quelques notes enjouées de plus. C’est ça la générosité. L’Aude et l’Hérault réunis, ça pétille !

Alors Merci à ces tisseurs de rêves qui vont poursuivre leur voyage musical à la cave à Jazz avant de partir vers d’autres contrées.



Derrière le long comptoir de bois à l’entrée, derrière lequel officient avec bienveillance les bénévoles, il y a de quoi se rafraichir. Ils veillent à ce que chacun soit servi avant la reprise du concert… Aussi quelques « coupettes » plus tard, dans une salle plongée dans le noir, notre Tribute entre en scène, sur laquelle attendent déjà une batterie et une contrebasse. Le piano prend des vacances pour cette seconde partie. De nature accorte, il cédera bien volontiers sa banquette au guitariste. 

Oui, nous changeons d’univers avec le FLORIN NICULESCU GIPSY ALL STARS. Les instruments à cordes sont au cœur de cette musique, si chère à Stéphane GRAPPELLI.





Jolie grimace, spéciale dédicace au photographe


Il joue et ça l'amuse notre Maestro !

Le Maestro – comme l’appelle affectueusement Bruno ZARIELLI à la batterie – a déjà pris la route, à peine il entrait. Et de suite, c’est l’effet waouh ! 

Florin NICULESCU2 et son violon nous emmènent sur les routes du jazz manouche. Sa réputation n’est plus à faire, elle va au delà de l’hexagone : Incontestablement, nous sommes devant un géant, un virtuose, un magicien. Et pourtant il est bien là, à Conilhac, petite bourgade de l’Aude

Pour lui, c’est la première fois ! Pour nous, c’est un incroyable émoi !

Comment expliquer l’indescriptible ! Les notes qui sortent de son violon sont magnifiquement sensibles, c’est terriblement gracieux, rapide, unique. Son archet court, court sur les cordes à briser leurs crins, mais rien ne l’arrête. Ses doigts prennent parfois le relai, avec la même aisance à nous faire chavirer le cœur et l’esprit. Maîtrise totale, l’artiste et le violon ne font qu’un.

S’il parle peu, il évoque néanmoins son respect, son bonheur de faire perdurer l’héritage musical acquis auprès de son mentor Stéphane Grappelli, son ami également avec qui il a eu la chance de jouer. Il associe Emma Fisk pour laquelle il a de l’admiration et conclut par  « Je me tais maintenant », alors chut, écoutons notre chanson des rues

Le dialogue avec les instruments éblouit, c’est d’une efficacité redoutable. Et lorsque l’un des musiciens prend la main, c’est pour mieux nous surprendre et amuser Florin Niculescu. Oui, il sourit, même lorsque le solo dure plus que de coutume, car en matière de jazz manouche, l’exploration et l’improvisation priment. A chaque fois, les interprétations diffèrent. Elles sont ici à vous couper le souffle, elles s’accélèrent, elles s’envolent au point que le Maestro dira : « On va se calmer ». Quant à nous public, nous en retenons la chaleur qui en émane, l’excellence de l’exécution, le frisson que ça nous procure, l’énergie qui en jaillit et mille autres sensations indéfinissables mais fort agréables. 

Yves BROUQUI à la Guitare et Bruno ROUSSELET à la contrebasse ne manqueront pas de mouiller la chemise dès lors que le Maître leur cédera la « parole »… Une équipe d’experts, je vous dis, qui porte beau le flambeau d’un jazz virevoltant, innovant, voire diablement spirituel, le Jazz aimé et joué par  Stéphane Grappelli.

Manouche, Florin Niculescu l’est plus encore dans ses compositions : Il propose un morceau dédié à son grand père et qui s’intitule « vieux gitan ». Il en explique la teneur : « Même si l’on vieillit, que les jambes ne vous portent plus, la tête imagine encore et le vieux gitan danse toujours quand la musique s’en vient et il bat la mesure avec sa canne… »

Ce concert était un moment hors du temps, où même les artistes se sont parfois ébaubis. 

Mais comment leurs doigts peuvent-ils bouger avec une telle dextérité ? (Pourquoi cette question ? Il va de soi qu’ils ont la maitrise totale de leurs instruments).

En toute fin, le public était debout pour les applaudir. 

Incroyable concert qui nous rapprochait de l’immense interprète qu’était Stéphane Grappelli sans pour autant gommer l’identité du groupe, formidables artistes qui forment un tout magistral et simplicité de ces hommes qui le composent. 

Alors que la salle se vidait de son public, Ils rangeaient précautionneusement leurs instruments et reprenaient la route en toute discrétion pour animer d’autres scènes. 


Quel beau voyage en terre Manouche ! Ça vous réconcilie avec l’automne.












1 Je pense à Naïma et à sa formidable réinterprétation d'une ancienne chanson du patrimoine français : la femme

2 Roumain est issu d’une ethnie Gipsy, comme il le soulignera plus tard

 

2 commentaires:

  1. Super article et magnifiques photos...Chapeau les artistes!

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